© Courtesy galerie George Ph. & N. Vallois
Actif depuis 1993, l’artiste Boris Achour ne cesse de passer d’un medium à un autre. Il s’en explique lors de nombreux entretiens en présentant cette hétérogénéité comme un « jeu de déplacement permanent ». Privilégier l’énergie du devenir aux formes réifiées et l’investigation à la posture dogmatique, beau programme, certes, mais qui n’empêche pas de nous donner envie de dire qu’on connaît la chanson…
Mais surprise à la galerie Vallois où l’artiste a donné à sa pensée la forme séduisante d’une constellation de mobiles. Cette nouvelle proposition synthétise, sans pour autant les capitaliser, des paramètres depuis longtemps à l’œuvre dans son oeuvre.
La structure des sculptures - principalement des mobiles - s’accorde à la démarche de l’artiste qui se veut en mouvement perpétuel. Leur équilibre instable ne tient d’ailleurs parfois qu’à un tour de sparadrap !
Les éléments suspendus par des crochets à l’armature du mobile se présentent comme des constellations précaires, des configurations possibles mais jamais nécessaires. Ils apparaissent en effet d’un mobile à l’autre, en d’autres configurations qui signalent leur caractère interchangeable : « ou bien…, ou bien », tel est le credo de l’artiste.
En faisant tenir ensemble des formes qui renvoient à des univers aussi différents que l’art minimal ou la science-fiction, la structure arborescente de ces mobiles fait aussi songer à la pensée rhizomatique développée par Deleuze, qui fascine de toute évidence l’artiste.
Intitulée Conatus, l'exposition fait aussi explicitement référence à Spinoza. Ce concept souligne la joie que procure au sujet le fait de s’accomplir à travers des actes. Le caractère bricolé des mobiles souligne d’emblée ce plaisir de la trouvaille issu du maniement de matériaux a priori sans intérêt. Qui eut cru, par exemple, qu’on puisse réaliser la parodie convaincante d’une sculpture cinétique en agençant des pailles entre elles ? Le fait de recourir à des matériaux triviaux pour les transformer en des propositions plastiquement intéressantes focalise l’intérêt de l’œuvre sur l’acte créateur qui s’assimile à leur réappropriation joyeuse, à une forme d’intelligence en acte.
De ce point de vue, on repense aux Actions peu. En 1993, l’artiste alors en mal de galerie réalisait de petites interventions dans la rue, de manière tout à fait minimale et précaire, essentiellement motivé par cette idée d’exister par l’acte.
Trouver les actes justes qui nous accomplissent, telle était déjà l’idée de Boris Achour, qui préférait à la solitude de l’atelier une démarche affirmative d’inscription de soi dans l’espace public, ne serait-ce que pour y faire bouger des choses infimes. Car à quoi cela sert-il d’être artiste si l’on ne s’inscrit pas dans le monde ? Les Actions peu, ou « Deviens ce que tu es… »
Cinquante neufs néons disposés sur les cimaises de la galerie forment les mots : Conatus (pilote). Ils correspondant aux cinquante neufs jours que dure l’exposition et s’allument un par un, chaque jour. Allusion, peut-être, au dispositif de la série télévisée se dévoilant dans le temps, mais aussi à cette forme dynamique de la connaissance dont il est question dans l’éthique spinozienne.
Bien que cette nouvelle exposition paraisse se distinguer des précédentes par le recours à des formes non existantes, Achour ré-inscrit malgré tout celles-ci dans le contexte d’un prélèvement.
Une vidéo nous le montre puisant un à un, comme dans un réservoir de formes, les éléments qui figurent sur les mobiles, comme ceux d’un jeu de construction. Manière de court-circuiter à nouveau l’illusion d’une création qui aurait été faite ex-nihilo. Achour ne fait que rejouer les recherches plastiques antérieures d’un Donald Judd, d’un Franz West ou d’El Lissitzky, pour y superposer les siennes. Il souligne l’apport de ces artistes, connectant sa recherche «d’ici et maintenant» à l’histoire polyphonique des formes.
Cette tentative de dilatation de «l’ici et maintenant» génère d’ailleurs ces sculptures parodiant une préhistoire des formes : stalactite en polyuréthane, reliefs géographiques d’avant la formation des continents jouxtant des motifs futuristes aux réminiscences de 2001 Odyssée de l’Espace.
Rigueur et poésie, humour et philosophie se conjuguent dans cette folle odyssée spatio-temporelle à travers les formes de l’art. Le spectateur s’embarquera aux côtés du pilote, si toutefois, il veut bien se prêter au jeu.
Boris Achour
Conatus (pilote)
Galerie Vallois, ParisPour paris-art.com, 2006