© Vincent Chevillon
Dans un texte intitulé
Les intercesseurs,Gilles Deleuze définit l’artiste comme un intermédiaire qui prête sa voix. Vincent Chevillon est de ceux-là. S’atteler à un sujet revient pour lui à rassembler une iconographie spécifique, à organiser ses voyages en conséquence et à se nourrir d’écrits « pour se faire habiter ». Une trajectoire préparatoire, physique et mentale, qu’il balise avec des croquis et des annotations.
Les
Sondes, ces objets qu’il taille dans le bois et harnache de métal, sont issues de libres métissages entre des formes naturelles et celles d’outils liés à la pêche et à l’équipement de navigation. Partant du roman Moby Dick, des récits du Capitaine Cook ou des écrits de Claude Levi Strauss, Vincent Chevillon s’est intéressé au mythe de l’Ailleurs et plus précisément à la figure du chasseur de cachalot. Avant l’arrivée du pétrole, l’huile de plusieurs cétacés était exploitée pour lubrifier les machines industrielles et éclairer les villes. Les « clous » (des semences de tapissier) que Vincent Chevillon utilise parfois pour donner une apparence écailleuse à ses
Sondes font écho à leur ancienne fonction insulaire de monnaie d’échange. Les tahitiens les acquéraient autrefois pour construire, entre autres, des hameçons avec leur métal en échange de vivres et de faveurs sexuelles de femmes aux marins anglais.
En évoquant ces flux énergétiques et humains étendus par la navigation, Vincent Chevillon parle plus essentiellement de la question des échanges. Qu’ils soient de nature marchande ou intellectuelle,leur rayonnement politique est essentiel. Une projection accompagne l’exposition de certaines
Sondes.
Diffusées en un flux continu, des images numériques se fondent les unes aux autres jusqu’à former un palimpseste qui sature l’écran. Cette banque iconographique, composée d’archives (ici, celles de la Ville de Houilles) et de photographies d’époque coloniale, engendre par le biais d’un programme informatique un mélange aléatoire de temporalités et de cultures. Contrastant avec ces images destinées à disparaître,les Sondes ont la présence bienveillante de totems. Rattachées à cette question des flux et des échanges, elles semblent rappeler que la dilution des cultures vernaculaires dans les pensées dominantes n’empêche pas leur prégnance dans la mémoire de conteurs comme Vincent Chevillon.
Marguerite Pilven
Texte pour le catalogue de la Biennale de la Jeune Création à Houilles
(9e édition 24 mars au 5 mai 2012)