© Oeuvre de Jenny Saville, courtesy galerie de France
Est-ce un défi de collectionner anglais aujourd’hui ? La collection Saatchi, de célébrité internationale après la très médiatique — et polémique — exposition Sensation a montré à la Royal Academy de Londres les travaux iconoclastes de ces Young british artists (nés dans les années 1960) qui remuent les sensibilités.
Les travaux de Jenny Saville et Sarah Lucas infligent à la représentation du corps féminin des entorses significatives. D’impitoyables visions remplacent les dispositifs traditionnels de mise en valeur de ses charmes. Lorsque Sarah Lucas expose en 2000 une photographie intitulée Woman in a Tub, elle s’inscrit dans le sillage d’une tradition picturale qui a proposé des variations multiples de ce thème. Mais à la place d’une femme se livrant paisiblement à ses ablutions, un cintre recouvert d’un débardeur blanc sur lequel sont fixés deux citrons à hauteur des seins fait office de baigneuse. Un corps de poulet avec les pattes écartées pend du vêtement. L’assemblage d’objets prosaïques transforme le corps en un fétiche grotesque, prêt à la consommation.
Jenny Saville a réalisé une série photographique, en collaboration avec Glen Luchford, intitulée Closed Contact. Elle se fait photographier totalement nue, le corps écrasé sur un verre, compressé. On le perçoit dans toute l’épaisseur de sa chair, ses plis, ses bourrelets, sa lourdeur. Les parties charnues du ventre et des seins s’étalent contre le verre en tranches de chair amorphes, s’exhibant directement à la surface de l’œuvre.
Entre l’esthétique de photographie médico-légale et la performance, cette image de nu féminin, plus morbide qu’érotique livre en pâture le corps de manière si puissante et tactile qu’elle donne une sensation d’étouffement. La présentation de la photographie, montée sur un caisson de plexiglas donne l’impression que le corps est contenu dans une boîte, un aspect qui rappelle les propositions plastiques du chef de peloton anglais, Damien Hirst.
En se mettant de la sorte en scène dans leurs oeuvres, les deux femmes affirment une position engagée et revendicatrice. Sarah Lucas s’empare d’attributs masculins en se montrant, sur un autoportrait, debout les jambes écartées, avec un long poisson placé sur l’épaule à la manière d’un boa. Bien qu’associé au sexe féminin, Got a Salmon on, qui est le titre de cette photographie, signifie aussi en argot anglais « avoir une érection ».
Cette dimension androgyne ou confusion des sexes intéresse également Saville, qui photographie des transsexuels, ces sujets au corps hybridé par le recours à des implants en silicone.
L’hybridation des corps apparaît également dans les travaux de Jake & Dinos Chapman, duo d’artistes choc qui exposait, lors de Sensation, des mannequins d’enfants siamois se faisant l’amour entre les arbres d’un jardin, les deux moitiés intimement imbriquées autorisant les positions sexuelles les plus hardies. Une sculpture intitulée Peep Show place un mannequin nu dans une large caisse. Le petit trou percé sur un des côtés de la boîte laisse passer les palpitations lumineuses d’un stroboscope placé à l’intérieur et interpelle le regard. Une fois en position de voyeur, on voit le mannequin pivoter sur lui-même, le corps traversé de phallus en érection.
Ce télescopage indécent frappe par sa concision, proposition vulgaire tellement directe qu’elle coupe court à toute escapade interprétative. On est comme devant un constat lugubre qui a pris la forme d’un collage déjanté : le voyeur s’y retrouve, réfléchi en position de parasite suceur de sang. Le mercantilisme sexuel est évoqué dans nombre des propositions hyperboliques des Chapman.
La peinture anglaise est également représentée dans cette exposition, tableaux et série d’aquarelles de Cecily Brown à la fois iconoclastes et inscrits par leur facture et leurs thèmes dans la tradition des maîtres de la peinture anglaise. L’artiste reprend par exemple dans ses aquarelles le détail d’une composition de William Hogarth qu’elle décline en un jeu de variations plastiques, parfois à la limite de l’abstraction. On retient également parmi les peintures exposées un intérieur de Dexter Dalwood d’ambiance étrange et une version peinte du personnage de Tarzan par Sophie Von Hellermann qui flirte avec la naïveté du Douanier Rousseau.
Saville, Lucas, Chapman...
Collecting British
Galerie de France, ParisPour paris-art.com, 2004
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