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Cristine Guinamand ou la peinture à fond perdu

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    © Cristine Guinamand

« Etre libre, ce n’est pas faire n’importe quoi, c’est aller au bout de chaque chose. » Paul Rebeyrolle

Découvrant les tableaux de Cristine Guinamand m’est venue l’expression, calquée sur celle de George Bataille, de « peinture à fond perdu 1». Devant leur facture imposante, on sent que l’enjeu n’a pas tant été de définir une image, ou un quelconque ordre de surface que d’aller au fond de «quelque chose». Il y a clairement chez la peintre une volonté de ne pas s’en tenir à «l’image trouvée ». Guinamand en évoque ainsi la nature obsessionnelle : « Quoi que l’on tente, on fini toujours pas refaire la même chose ». Entre les impulsions premières et cette forme de liberté, ou de présence à soi, qu’est l’acte de peindre, un espace est à trouver.

Guinamand ouvre la surface de la toile pour entrer en peinture comme en transe. Ce dégagement d’un espace a souvent le caractère d’une effraction : explosion, percée, ouverture forcée, cadre fendu... On note aussi la récurrence de grottes ou d’antres, au statut ambivalent d’abri ou de prison. L’ambiguïté est visible dans le tableau intitulé Le Canif. A peine dégagée de la matière qui la compose, une silhouette humaine troue l’espace et libère un coin de ciel enfoui. Evoquant la forme d’un oeil, cette percée est bordée de clous qui donnent l’impression d’un écartèlement forcé entre les couches. Sur le volet gauche du diptyque des Deux Soeurs, une figure féminine tente à la fois de se frayer un chemin dans la matière qui la cerne et de dissimuler la tête qu’elle vient d’arracher dans son antre protecteur. Par contraste, le mystérieux petit tableau intitulé Paysage (mais on pourrait tout aussi bien écrire « Pays Sage ») oppose un calme absolu de surface que viennent redoubler, comme une enceinte protectrice, des pièces de puzzle agglomérées au support. A la manière d’une couture, des clous plantés retiennent ensemble la lumière et l’obscurité, maintenant l’équilibre nécessaire à la vision claire.

« Il fait rudement sombre » annonce l’exposition, « On n’y voit rien » titre un autre tableau. L’incursion dans les profondeurs de la peinture n’est jamais tranquille. Les figures saturniennes qui hantent Mammon et Lord of War sont issues de l’univers, infernal et sous terrain, de Gaïa, divinité terrienne de la mythologie grecque. Soumise à des puissances telluriques obscures, cette déesse de la fécondité a pour particularité de donner naissance à des créatures monstrueuses. Par son titre, le tableau intitulé La Herse évoque l’instrument agricole avec lequel on prépare la terre en la striant, pour l’ensemencer. Des rats semblent avoir été jetés en pâture au fond du tableau qui a l’ambivalence de cette « terre nourricière » ou « chaos primordial » décrit par Hésiode duquel surgit et retourne toute forme, en un cycle sans fin. Même achevés, les tableaux gardent un fond indéterminé qui menace de disruption l’ordre de surface, comme si la peinture restait suspendue, « sur sa faim ». Dans le Paysage figurant des champignons, ce fond va jusqu’à s’ouvrir comme une mâchoire.

Les crânes qui hantent les tableaux ont une similarité de forme avec les grottes. Originairement couverts d’une enveloppe de chair et réceptacles du cerveau, ils sont à la lisière du dedans et du dehors, de l’intérieur et de l’extérieur et rejouent une obsession chère à la peintre : L’articulation et la circulation dynamique entre ces espaces. Des oeuvres comme Crâne à la Fraise ou Le Grand Rocher sont emblématiques de cette question du passage auquel répond un traitement de l’espace où les plans se mêlent en un jeu constant de renversements. Les crânes pyrogravés sont à la fois bombés et creux, transparents et pleins. Le « Grand Rocher » désigne aussi cette tête de squelette contre laquelle la composition s’adosse et qui fourni le contrepoint d’une saynète de Don Quichotte à la limite d’avoir été engloutie. Tel un trophée guerrier, il semble avoir été posé là comme un symbole de trêve : ici s’achève la peinture.

Dans ces oeuvres à la facture sombre et complexe, Guinamand semble se resserrer sur l’avènement d’une peinture qui trouve son point d’émergence entre aveuglement et vision extrêmes, c’est à dire dans ces instants, nécessairement obscurs, où la distance entre la peintre et son tableau s’abolit.
« Il y aurait dans la matière, informe infinité, une sorte d’appétit obscur de revenir sur soi pour se connaître2
Que le tableau coince dans son développement ou parvienne à un point de saturation critique et Guinamand s’empare d’un miroir pour en sonder la surface et déceler ses faiblesses dans le reflet. Stratagème ultime pour s’y infiltrer, la prendre d’assaut et l’ouvrir encore, jusqu’à ce que les dernières résistances sautent.

1.L’expression originale est celle de « dépense à fond perdue » théorisée dans le livre intitulé La Part Maudite.
2.Jean Paul Sartre, préface du livre de Stéphane Mallarmé, Poésies, p.8, éd. NRF Poésie/ Gallimard.


Communiqué de presse pour les galeries Hambursin Boissanté, Montpellier et Le Réalgar, St Etienne, mai 2010.