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La part de l'ombre

  • La part de l'ombre

    © Oliver Beer

L’exposition imaginée pour la rentrée 2012 a la densité d’un ciel d’orage : Invasive, démesurée, massive, la sculpture en bois de François Mazabraud occupe la quasi totalité du rez-de-chaussée. Elle semble tenir sur un équilibre fragile tant son poids est grand. Le grand tableau de Matéo Andréa qui la jouxte compresse à la surface des figures en tension, comme sur point d’imploser. Au sous-sol, le film immersif d’Oliver Beer nous propulse dans l’obscurité d’une bouche d’égout où des hommes ont investi un espace interdit...

Le plan relief que réalise François Mazabraud revient sur l’une des catastrophes les plus vertigineuses du siècle : l’effondrement des Tours Jumelles de Manhattan et la chute d’une hyper puissance économique. Une catastrophe vécue comme une apocalypse qu’il a transcrit en reproduisant tête en bas le « skyline » du quartier des affaires pour lui faire gratter le sol. De ce rééquilibrage temporaire des forces, l’assise de la maquette surgit à la surface du plan relief, exhibant les contours des provinces irakiennes qui la craquellent de toute part. L’usage à double sens de cet objet remisé au rang de curiosité historique en ravive la fonction didactique. Les notions de rupture et de révolution induites par sa forme semblent aussi confronter avec ironie le temps de la planification et du projet à l’effectivité des flux numériques qui se joue des frontières et opère en temps réel.

Matéo Andréa cartographie quant à lui la complexité du phénomène amoureux pour faire saillir sa nature ambigüe, entre sublimation et destruction de l’être aimé. Les invariants d’une guerre des sexes s’articulent en de grandes constellations graphiques rehaussées de peinture. Epinglés comme des insectes à la surface de la toile, des protagonistes mâles et femelles détourés et privés de leurs zones d’ombre sont soumis au diagnostic.
Les faisceaux et cages qui rythment les compositions décrivent les lignes de force de ces querelles intestines où désir de reconnaissance et de possession, soif de fusion et prédation, ouverture à l’autre et aliénation s’entremêlent au point d’être indissociables. Une description clinique de l’« énamoration », où du tourment que l’amour met dans l’amour, dont l’efficacité visuelle rappelle celle des peintres de la Figuration Narrative.

Le morceau que le britannique Oliver Beer fait interpréter à ses choristes dans une bouche d’égout d’époque victorienne a la gravité d’un chant liturgique. L’artiste accorde leur voix aux fréquences acoustiques les plus sensibles de la cavité pour en stimuler la résonnance au maximum. Cet échange vibratoire convertit progressivement l’espace en une texture sonore qui procure une sensation d’enveloppement. D’un point de vue acoustique, la redondance des sons génère un effet d’entropie et l’« Amen » articulé par les choristes se délite en un chaos. Lorsqu’on lui demande s’il a choisi les profondeurs de la terre pour leur caractère allégorique, Oliver Beer répond avec tact qu’il applique une formule mathématique pour déclencher des émotions dont la tonalité psychologique variera en fonction du contexte d’exécution. Il préserve ses performances sonores de tout pathétisme littéral pour conserver intact leur caractère strictement physique et ineffable.


Communiqué de presse pour la galerie de Roussan, janvier 2012