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Thibault Brunet, Typologie du virtuel

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Typologie du virtuel


Avec Typologie du virtuel, Thibault Brunet explore le territoire français à travers Google Earth.

Consultées par GPS, téléphone ou tablettes, les vues satellitaires ont profondément modifié notre pratique de l’espace. Par son caractère globalisant, l’outil de navigation mondiale qu’est Google Earth tend à faire oublier qu’il est un patchwork, la somme de vignettes déposées par des milliers d’utilisateurs. Leurs possibilités d’interaction avec cette banque de données sont à la fois instrumentales et créatives. Google Earth présente en ce sens des similitudes avec les jeux vidéos en réseau que Thibault Brunet a jusqu’ici exclusivement exploré – voir ses séries Vice City, First Person Shooter... – et génère une communauté d’utilisateurs liés par le partage d’informations. Les plus passionnés d’entre eux alimentent également un blog informant des avancées de mise à jour de cette banque numérique : Google Maps Mania.

Typologie du virtuel exploite en partie le flottement provoqué par l’usage massif et indéterminé de ces informations. Thibault Brunet sélectionne des fragments d’un monde virtuel coproduit par de multiples individus et dont l’actualisation des données ne répond à aucun objectif identifiable. Les images de cette série ont été réalisées à partir de bâtiments situés dans des zones périurbaines et modélisés en 3D par des utilisateurs de Google Earth.

Centres commerciaux, HLM et tours de grandes firmes commerciales relèvent d’une typologie architecturale globale, sans lien avec le territoire. L’artiste les ancre dans un espace et un temps spécifique en y ajoutant une ombre portée définie d’après le jour et l’heure de leur réalisation. Il recontextualise l’image en la rattachant à l’action de son premier fabricant et s’inscrit dans une chaîne de création collective dont il forme un nouveau relais. Le contexte, c’est l’ombre, la création d’un espace de projection s’évanouissant dans la brume que l’artiste compare à un « nuage numérique », et dont ses bâtiments semblent surgir tels des pop-up. Par le titre de sa série – un principe de catalogage dépourvu d’expression personnelle – et une composition dictée par un protocole fixe (choix de l’ombre et de la couleur dominante défini par les données objectives du fichier de modélisation), Thibault Brunet se réfère clairement aux « sculptures anonymes » ou « typologies de bâtiments industriels » réalisés par les photographes Bernt et Illa Becher.

La référence à ces images, « symboles d’une époque finissante de l’industrie », n’est pas anodine en une période où l’on s’interroge plus que jamais sur le stock d’informations dormantes que recèle le big data et sur la possibilité de les analyser en vue d’exploitations ciblées. En légitimant artistiquement une pratique populaire de consultation et de création d’images, Thibault Brunet inscrit également son travail dans un contexte d’interaction abolissant les frontières de l’individuel et du collectif. Ses images d’images témoignant d’une « intervention active qui accroît à la fois notre expérience de l’art et celle du monde dans toute son étendue ».


Marguerite Pilven
Texte publié dans le livre Thibault Brunet, Typologie du virtuel, Editions La Pionnière, 2016