Pour sa première exposition monographique à la galerie Valérie Delaunay, Haythem Zakaria présente un ensemble de travaux prenant pour matière des textes sacrés qu’il transforme, transcode d’après un ensemble de règles définies en amont de leur réalisation. Ainsi libéré de toute décision personnelle, l’artiste en devient l’interprète fidèle et régulier, il en déroule les multiples possibilités d’énonciation.
Cette mécanique réglée de production lui permet de générer des œuvres dont la finesse d’exécution, la précision et la neutralité rappellent le dessin industriel. Les dessins issus de la série "Poétique de l'Éther II" prennent ainsi pour matrice de départ la figure du carré magique, liée à un usage talismanique du Coran. Haythem Zakaria rejoint ici une tradition de littérature savante où « le texte sacré n’est pas mis en œuvre dans son état brut, mais soumis à un travail de transformation qui agit sur la forme et sur le sens, selon des procédés employés dans les techniques magiques » (1).
Ce carré magique repose sur un principe combinatoire des lettres qui composent le nom divin. La tradition musulmane a accordé un statut décisif à l’écrit en le considérant comme le véhicule d’une langue originelle considérée comme divine. Ainsi Qur’an, le « Coran », est un mot qu’on peut traduire par « la lecture », ou « la récitation », peut-être aussi « l’appel »…
Dans le sillage de l’exposition Les Immatériaux, réalisée en 1985 par Jean-François Lyotard, et commandée par le Centre Pompidou, c’est sur l’idée première d’une convergence structurelle entre les systèmes théologiques et numériques que travaille Haythem Zakaria, comme alternative au récit moderne d’une émancipation exclusivement fondée sur les dynamiques du travail, de la volonté et de la valeur. En avançant la notion de « passibilité », Jean-François Lyotard pense une autre façon de s’inscrire dans le paradigme du langage où ce dernier n’est plus considéré comme un outil de connaissance et de maîtrise sur le monde, mais « pensé à la manière d’un champ de perception, capable de « faire sens » par lui-même, indépendamment de toute intention de signifier » (2).
A la façon de la poésie, l’occultation des règles qui sous-tendent l’harmonie des œuvres d’Haythem Zakaria suspend les questions de la signification pour frayer un passage vers la réception, l’entente d’un « milieu parlant continu » (3). Il s’en fait le manutentionnaire en produisant des dessins dont l’économie est celle d’une surface où vient s’inscrire une mémoire occultée et qu’une logique de protocole et de série permet de reprendre et de dérouler dans un temps qui est celui de la méditation.
Les dynamiques de transcodage, de répétition et d’enchaînement qui organisent les compositions de ses œuvres, s’y redistribuent d’une série à l’autre, contiennent une charge performative forte. Leur énergie intensive déborde la seule approche sémiologique ; elle relie la signification à la matérialité, le monde des signes au monde des corps. Elle peut ainsi s’approcher comme un espace d’étude et de liberté, la recherche sans cesse réitérée, toujours approfondie, d’une manifestation de présence contestant silencieusement, rigoureusement, l’expropriation de l’activité productive et l’aliénation du langage sur lesquels repose le système capitaliste.
Références :
1 - Constan Hamès, l’usage talismanique du Coran, Revue de l’histoire des religions, p.83, éd. Puf, 2001
2 - Jean François Lyotard, L’inhumain, causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988, p.83
3 - Ibid, p.83
Texte pour le communiqué de presse de l'exposition d'Haythem Zakaria, trans.mutations à la Galerie Valérie Delaunay, Paris.