La luxuriante nature à l’intérieur de laquelle Marie-Anita Gaube inscrit ses personnages est celle d’un Jardin d’Eden. Non pas que ses tableaux nous parlent d’une vie sans histoire, puisqu’ « il n’y a de cause que de ce qui cloche »
1 ; nous voici dans le temps de la peinture et de tout abandon d’une chronologie explicative. Ses tableaux parleraient plutôt de l’acte de création. Ce qui semble se décrire à travers eux, c’est l’exploration de la porosité entre notre monde intérieur et la perception de la réalité. Chez Marie-Anita Gaube, l’espace de l’atelier est souvent mis en scène comme un refuge, mais également comme une arène ou une place publique, un espace jeté aux regards à la façon de Francis Bacon ou de Brueghel.
Le défi de peindre semble apparaître dans cette tension, entre retraite nécessaire et volonté d’inscription effective dans le monde. L’angoisse du choix, la crainte du temps qui passe affleurent par des allusions au genre pictural de la Vanité et la place importante qu’accorde l’artiste à la nature morte. Les intrigantes maquettes et autres constructions miniaturisées qui s’élèvent sur de petits guéridons évoquent également l’univers de la célèbre
Melencolia I gravée par Albrecht Dürer. A la fois protégé et traversé par ce que l’entropie nous raconte du monde, l’atelier est ce laboratoire de formes où la recherche de sens se révèle être possible, mais également aux prises avec le relativisme de toute entreprise humaine. Par son caractère à la fois intime et résolument tourné vers des problématiques picturales de constructions d’espaces, la peinture de Marie-Anita Gaube rappelle également celle d’Henri Matisse et de David Hockney.
Sur les écrans qu’elle enchâsse avec habileté, les images du monde entrent en collision : celles des journaux et des magazines qui constituent une iconographie fouillée et d’autres images, mentales cette fois-ci, que l’on devine plus persistantes. Les ateliers et chambres à coucher aux parois que l’on croirait amovibles, les pans et plateaux d’architectures mis en orbite sur des paysages oniriques situent les histoires ébauchées par des corps elliptiques entre le dehors et le dedans, le virtuel et le réel. Le fil narratif se déroule en un équilibre fragile ou s’évanouit, comme questionnant sans cesse la finalité de sa trajectoire.
L’étonnante maturité dont fait preuve cette artiste de 31 ans tient peut-être à sa connaissance de l’histoire de la peinture et de ses fabuleux artifices de constructions d’images. En une époque de production et de diffusion massive d’images, la peinture permet plus que jamais la création d’une vacuole réflexive et intemporelle. Marie-Anita Gaube fabrique des images qui résistent aux effets de la mode et de la communication. Ses tableaux s’engagent dans la nécessité que l’homme a toujours eu de peindre pour se comprendre.
Texte pour la galerie
HORS-CADRE (Océane et Manon Sailly), exposition inaugurale au Bastille Design Centre, Paris 9-11 février 2018
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1- Jacques Lacan