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Magali Daniaux et Cédric Pigot, Hello humans!

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L’artiste a son rôle à jouer dans la recréation d’un imaginaire et de formes de représentations capables d’absorber une crise écologique qui est aussi une crise de la sensibilité (1). Probablement parce que ce « pervers polymorphe » n’a jamais oublié de se brancher à la diversité du monde.
La perte de conscience de cette diversité n’est pas nouvelle pour l’humanité : le déni de son mystère et de son infinité, l’appauvrissement des perceptions caractéristiques de la modernité ont d’ailleurs été fabuleusement décrits dans la littérature crépusculaire qu’elle a fait naître.

Depuis presque deux décennies maintenant, Magali Daniaux et Cédric Pigot pulvérisent la planète des signes où notre vie mentale s’enracine essentiellement pour y faire passer le corps, ce corps mis à distance par le porno, l’hygiénisme, la peur de la maladie et de la mort. Ce corps réel, tel qu’il fut par exemple radicalement investi par Artaud, est plus que jamais à reconquérir par nos imaginaires. Par la pratique du collage et de l’hybridation, de la composition sonore et de la performance, de l’écriture et de la simulation, Daniaux et Pigot inoculent les signes. Portés par un goût de l’étrange, ils tentent des formes de prélèvements bruts de matière pour faire parler le paysage, la machine, l’image, l’objet, en essayant de les manipuler pour ce qu’ils sont, indépendamment de ce qu’ils représentent pour l’humain.
Ils croisent les descriptions « d’antimondes » pour approcher des questions anthropologiques et environnementales sous un angle fictionnel, mais toujours depuis des expériences et une documentation réalisées lors de voyages de recherche. À la fin des années 80, le géographe Roger Brunet désignait par la notion d’antimonde des lieux à la marge, des espaces considérés « à la fois comme le négatif du monde et comme son double indispensable » : arcanes et espaces inaccessibles : lieux de pouvoir, bases secrètes, ou lieux d’exception : zones franches, paradis fiscaux.

Á l’appui des paysages désertiques de la Norvège, du Global Seed Vault, un bunker iconique stockant sous la neige des graines de culture vivrière, initiative survivaliste financée par les parties prenantes de l’agrobusiness mondial, et de la Station de recherche scientifique internationale de Ny Ålesund, à Svalbard, ils ont déployé pendant plusieurs années une fiction spéculative liée à la marchandisation du vivant en organisant des tables rondes, en produisant des films, une pièce radiophonique de poésie sonore, une visite en 3D du bunker sur le net et une œuvre en réalité virtuelle (2).
Intitulée Hello Humans!, leur exposition rejoue ces différents moments de leur univers artistique par une mise en récit se déroulant tout au long de l’espace d’art contemporain le Narcissio. Leur approche toujours plus affirmée du collage et du sampling trouve ici son point d’orgue dans la création d’une intelligence artificielle.
Ils tentent à travers elle de construire un langage dont ils ne seraient plus les seuls initiateurs, de l’ordre d’une littérature animiste qui laisserait la voix aux coups de dés d’un réseau de neurones artificiels. Nourrie de poèmes écrits par leur soins, et de paroles de chansons, cette machine d’apprentissage, développée avec Guillaume Dumas, ingénieur centralien et chercheur en neurosciences cognitives à l’Institut Pasteur, compose ensuite des poèmes à partir de ce qu’elle a produit comme associations.

Par ce compagnonnage décomplexé de l’art avec la machine, l’exposition Hello Humans! accouche d’un monde désirant et délirant plutôt qu’hermétique et inquiétant. Comme en écho aux collages oniriques, volontiers machiniques, d’un Max Ernst, les oracles de l’IA transitent par un “Giacophone“.

Par “Giacophone“, comprenez une sculpture de Giacometti, accidentellement détruite, dont il ne reste qu’une photographie et qu’ils ont fait reproduire à l’identique en l’affublant d’un combiné de téléphone géant.
Le visiteur s’en approchant se verra incité à y enregistrer son numéro de téléphone portable. Il pourra ainsi recevoir des poèmes réalisés par l’IA, émis en symbiose avec des phénomènes naturels dont les mouvements détectés de la station de Ny Ålesund déclenchent l’envoi. Depuis cette station, Magali Daniaux et Cédric Pigot filment et suivent depuis 2015 en streaming un même paysage de fjords évoluant imperceptiblement au fil des heures, de la lumière et du rare passage des oiseaux. Et si ce paysage de glace devait se mettre à parler, que raconterait-il ?
Ce dispositif en réseau, infrastructure à la fois archaïque, hyper technique et baroque, adresserait-il un clin d’œil au fantasme d’ubiquité et de communication avec l’au-delà qui habita souvent la psyché des inventeurs de ces outils de stockage, de traitement et d’émission de signaux appelés media ?
Magali Daniaux et Cédric Pigot poursuivent la recherche d’un art qui ne s’inscrirait nulle part ailleurs que dans les communications, les rencontres entre les mondes et le partage d’images invisibles portées par le son et la voix.

Comme cherchant à s’étirer toujours plus à la diversité du vivant, l’exposition touche également les étoiles, avec la simulation de « ciels étrangers », transferts photographiques réalisés à partir de bois de hêtre et de champignons xylophages, et les espaces sous-marins dont les formes de créatures chimériques ont donné lieu à une série de céramiques de couleur chair.
Parmi les plus remarquables, on trouve une pieuvre filandreuse, rappel du Cthulhu, un monstre cosmique, extraterrestre, imaginée par l’écrivain H.P Lovecraft.
Sous une orthographe légèrement différenciée, cette créature est devenue, dans la pensée de la philosophe américaine Dona Haraway, une entité conceptuelle lui permettant d’évoquer “une myriade de temporalités enchevêtrées“ “incluant le plus-qu’humain, l’autre-qu’humain, l’inhumain, et l’humain-comme-humus“.(3) 
Nourris par une curiosité sans bornes pour les domaines de la philosophie des techniques et des sciences de l’information, Magali Daniaux et Cédric Pigot développent un univers baroque et multi-sensoriel dans lequel bruissent les craintes, mais aussi les fantasmes et les rêves d’un monde aux devenirs imprévisibles.
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1. L’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual a réalisé une conférence à Science Po en 2001, intitulée « La crise écologique comme crise de la sensibilité ».
2. http://svalbardglobalseedvault.com/ - en s’aventurant jusqu’au fond de la galerie souterraine, le visiteur découvre « l’esprit » du vault et le poème que leur a inspiré ces lieux.
3. Dona Haraway, Anthropocène, « Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène. Faire des parents », revue Multitudes n°65 - www.multitudes.net/

Texte de l'exposition Hello humans! à la Galerie Le Narcissio, Nice, 17 juillet - 10 octobre 2020