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Emmanuel Pélissier, Peinture nature

  • Emmanuel Pélissier

C’est par le prisme de la nature morte que la Galerie Marie Claude Duchosal, avec la complicité du peintre Benoît Pingeot, nous présente l’œuvre d’Emmanuel Pélissier. Ce genre considéré mineur, car peu restrictif, s’accorde à sa recherche de ce qui fait l’essence du fait pictural, extérieur à toute volonté narrative, ou rhétorique, et fondé sur un jeu physique, une expérience de la matière comme lieu de la transformation.


Emmanuel Pélissier peint sur du papier, le plus souvent en grand format, dans un rapport d’échelle légèrement supérieur à la grandeur nature. Son espace pictural est une surface continue, l’arène d’une mise en jeu qui comporte, pour seul point de repère, une ligne horizontale signalant la bordure d’une table. Une trame de gestes vigoureux tient cet espace, un balayage de matière qui mise sur l’énergie de la lumière pour établir ses rapports entre les formes et le fond. Les formes sont intemporelles, mais rendues contemporaines par leur ancrage incarné à ce « fait pictural » que fait voir l’artiste, dans son incandescence et sa fragilité ; un vase en terre, un poisson, des pommes, un drap, des objets aux travers desquels se déploient également les registres du sec et de l’humide, pour de possibles allégories d’une peinture comme fabrique.
Devant ce qui se donne à nos yeux avec un mélange étonnant de rudesse et de sensualité, un jeu libre des masses en mouvement que n’ordonne aucun motif central, l’imaginaire se livre à la divagation archéologique, entre réminiscence des fresques pompéienne, et peintures reliefs des grottes de Lascaux ou d’Altamira.


La gamme chromatique de ces tableaux, de pierre, de terre et d’argile, traverse aussi l’histoire. Les papiers sur lesquels l’artiste peint sont froissés par endroits, densifiés par un liant où se mélangent les pigments, les colles et les grains d’argile, jusqu’à leur faire prendre une texture rocailleuse.
L’obsession de l’artiste pour le passage de la forme plane au volume lui fait travailler un dessin en conflit avec la matière, allant jusqu’à le pousser à s’aventurer, par moments, du côté de la sculpture. À deux reprises dans cette exposition, le motif de double poissons posés sur une assiette est réalisé en saillie, comme un chapelier moulerait son chapeau. Le point de vue en surplomb de ce couple de formes charnues, brillantes et longues comme des lèvres les apparente à un sexe féminin, tout comme le ventre ouvert de ces poissons évidés, dont le mince filet rouge du flanc visible actualise la puissante illusion picturale d’incarnation.


Dans cette peinture qui semble vouloir réduire la distance entre la vie et l’art, on ne quitte jamais le corps qui crée, extrait les images à pleines mains et laisse partout ses traces, depuis celles de l’amplitude du bras qui détermine la surface picturale, indépendamment des bords du papier, à celles laissées par les chaussure du peintre qui travaille parterre, débordant l’armature géométrique d’une représentation chevillée à un corps dressé à l’horizon, pour expérimenter ce que James J. Gibson qualifie d’un «arrangement optique ambiant (1) », avec toute l’instabilité que cela suppose. Pélissier semble être aussi dans l’urgence de peindre, antidote d’un horror vacui dont les crânes humains se font l’écho, voisinant des pommes peintes avec autant de ferveur qu’un autoportrait.

Note : (1) James J. Gibson, L’approche écologique de la perception visuelle, éd. Dehors, 2014


Texte écrit pour l'exposition d'Emmanuel Pélissier à la galerie Marie Claude Duchosal, Paris