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Jean-Michel Alberola

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    © Courtesy galerie Daniel Templon

Dans les années 1980, Jean-Michel Alberola était préoccupé, comme d’autres peintres de sa génération, par le devenir de la peinture et la pertinence de sa pratique. Cette méditation sur les fins de son art devait le conduire, dans un premier temps, à s’intéresser conjointement à la fable mythologique de Diane et Actéon et à l’épisode biblique de Suzanne et les vieillards, deux récits portant sur la question du regard, de la pulsion scopique coupable, ou « plaisir rétinien » selon le vocabulaire de Duchamp.

Il n’est alors pas étonnant que ce dernier soit la figure tutélaire de cette exposition, pour avoir critiqué de façon décisive la prétention d’autonomie de la peinture moderne.
En matérialiste, Alberola sape toute idée de peinture qui fonctionnerait en vase clos, loin des contradictions et des incohérences du monde. Il en fait au contraire un espace fondamentalement hétérogène, inscrit dans un rapport permanent à l’extérieur, au risque d’affaiblir le pouvoir de séduction de ses œuvres.

Les compositions déroutent en effet souvent le regard. Les tableaux semblent toujours être laissés dans la tension de l’inachèvement, dans la suspension du doute. Des pans de l’image apparaissent fragmentés, morcelés, comme autant de pièces d’un puzzle complexe qu’il nous faudrait recomposer. L’image finale est obtenue à la suite d’enfouissements successifs de figures et d’objets sous des couches de peinture. On distingue ainsi des silhouettes humaines dont il ne reste que l’ombre ou les traits de contours. À la manière d’un indice, ces formes fantomatiques signalent un « avoir été là ».

Albérola nous placerait-il, comme l’écrivait Catherine Millet en 1987, devant « la mise en scène de la disparition de la peinture dans la peinture elle-même » ? Dans l’œuvre intitulée Sans Equilibre, où le plan d’une sorte de labyrinthe est peint en noir et blanc, est inscrite en capitales cette injonction : « De longs couloirs… accompagnez-moi ».

Si Albérola s’enfonce dans la nuit de la peinture, pourquoi ne pas voir là, plutôt que l’acte d’un fossoyeur, une sorte d’archéologie inversée, c’est-à-dire la condition même de sa renaissance ?
Un tableau intitulé : Marcel Duchamp, el Salvador donne en tout cas envie d’y croire.

Autre pièce à conviction : ce petit ex-voto renfermant, comme dans un tabernacle, un portrait peint de Duchamp, l’œil rieur et auréolé de rayons à la manière d’un saint, ainsi que l’étui d’un appareil photo.
Si Duchamp n’était pas explicitement photographe, on connaît la portée décisive que la logique photographique a eu sur tout son travail, affranchissant la peinture de son fonctionnement mimétique.

Par cet hommage amusé qui présente Marcel Duchamp comme le « sauveur » de la peinture, Alberola poursuit une perspective essentielle de son travail : engager sa peinture dans un rapport dialectique au réel, inscrire sa pratique dans le devenir de l’histoire. L’image cesse d’être alors immédiatement lisible pour s’ouvrir à l’opacité du monde.

Jean-Michel Alberola
Galerie Daniel Templon, Paris


Pour paris-art.com, 2004